dimanche 30 septembre 2012

Abdellatif Laâbi. Poésies. Extraits. VI


" un amour en cache un autre
une colère en cache une autre
un homme en cache un autre
De voix en voix
de miroir en miroir
la fringale de vérité
qui me tordra
jusqu'au face-à-face ultime
avec mon lot de vie
et son pendant de mort "
Abdellatif Laâbi. Pâturage du silence. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

" outre-outre-mers
ne m'oublie pas frère
Ah ma mère
mon fils
et toi ma sœur, mon amante captive
le bateau m'emporte
Me voilà dans le ventre de la baleine
des temps maudits
Je n'ai plus de voix
plus d'ombre
plus de traits
Au-dessus des ténèbres
se lève la lune acide de l'exil "
Abdellatif Laâbi. La ballade de l'émigré. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

" Il se surpend à dire :
Mon pays, ce n'est pas une terre ingrate
qu'on transporte à la semelle de ses souliers
Ce n'est pas ce soleil de plomb
indifférent aux râles des emmurés
Ce n'est pas la main de mon père
me prodiguant la bénédiction
Ce n'est pas la tombe de ma mère
conduisant mes pas d'aveugle
au trésor du plus haut silence
Ce n'est pas cette foule
changeant d'allégeance
à la moindre démonstration de force
au moindre feu d'artifice
de la ficelle hideuse d'atavismes
Mon pays est là où la liberté
n'a qu'un seul sens
fer rouge de l'indomptable dignité "
Abdellatif Laâbi. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" Comme les énigmes de l'inquisiteur sont aisées !
Comparons, dit-il, avec celles
que je n'ose parfois me poser à moi-même :
Par quelle tribu occulte es-tu gangrené ?
Es-tu indemne de tout pouvoir ?
As-tu cassé tous les miroirs ?
De quelles infirmités tires-tu ta force ?
Quels sont les tabous de ta droiture ?
Pourquoi ne reconnais-tu que du bout des lèvres l'ampleur de tes ignorances ?
Ne t'arrive-t-il pas de te contenter de l'à-peu-près de ce que tu aurais vraiment voulu dire ? D'être irrité par tes plus justes passions ? De maudire tes superbes raisons de vivre ?
Ne joues-tu pas un peu au martyr ?
Ne caches-tu pas ta paresse derrière le tourbillon de tes réalisations ?
Que trahis-tu chaque fois que tu te remets en cause ?
Es-tu comblé par le seul amour qu'on te connaisse ?
Jusqu'où peux-tu aller dans la vérité sur toi-même ? "
Abdellatif Laâbi. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" Ils étaient partis pour abolir le centre
pour semer des carrefours
en toute terre, mer, en tout ciel d'ici-bas
pour fonder de nouvelles généalogies
d'homme sentant sans parler
de femmes reprenant le feu
des mains de la gabegie virile
d'enfants parlant au nom de tous
l'idiome transparent
de l'insoutenable douceur "
Abdellatif Laâbi. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" A qui veut bien l'entendre
en bien ou en mal
je dis enfin
ce pays en vrac
veuf-orphelin exsangue
ce pays mosaïque de la soif
ce pays dos-rond
ce pays chacal
ce pays d'aveugles-rois en sébiles jaculatoires "
Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" ce pays de cafés-urinoirs-prisons
ce pays sismique au carrefour des mitrailles
ce pays tacite
scorpion vidé de son dard
ce pays de tentes en béton
pour ruffians tombés de la dernière pluie
ce pays à crinière de planche mortuaire
ce pays cahin-caha
se délectant de rumeurs
ce pays talisman illisible
pavé dans la mare "
Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" ce pays de troc silencieux
petites filles, sueurs, âmes, muscles de fer
ce pays qui n'en peut plus de ses chancres
et qui gavent ses chancres
ce pays faucon borgne
inexorable
ce pays coulissant au-delà du désastre
ce pays rictus
de main rituelle
faisant la pluie, les sautrelles
jamais le beau temps "
Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" ce pays traquenard millimétré
ce pain où le pain tue
ce pays contrasté jusqu'à la lie
ce pays de tribuns minables
vaccinés contre la vie
la salutaire erreur
la démangeaison du génie
ce pays de légendes déflorées
minotaure hébété
par l'incroyable mais vrai des discours "
Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

" ce pays frivole
fidèle à sa honte
ce pays qui rit et chante et vivats
juste après avoir enterré ses morts
ce pays qui chavire
tant il s'ignore
ce pays mâle
désespérément mâle
ce pays extrémiste "
Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I


" ce pays qui exile
et s'encombre
ce pays qui parfois se souvient
ce pays consensus
qu'on voudrait voix de son maître
ce pays menacé de famine intellectuelle
ce pays roc perfide
à double tranchant
ce pays soudain
amer
emportant la bouche
ce pays interminable "

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