Maroc :: « Une démocratie de façade »
Le Maroc connaît également des mouvements sociaux, quoique, de moindre importance que d’autres pays arabes. Un « mouvement du 20 février » s’est mis en place qui revendique une démocratisation du régime marocain. Des manifestations touchent les grandes villes, Rabat, Casablanca, Marrakech.
Luc Vancauwenberge
La situation marocaine n’est pas la même que dans les autres pays arabes. « Nous avons arraché depuis 15 ans le droit de manifester et de faire grève », raconte Abdallah El Harif. Mais le mouvement du 20 février aspire à plus de démocratie, et à la fin de la répression au Maroc. (Photo 11press.com)
Interview :: Abdallah El Harif, secrétaire national de La Voie démocratique
Nous avons rencontré Abdallah El Harif à l’occasion de la commémoration d’un autre grand opposant marocain marxiste, Abraham Serfaty. Les deux hommes ont passé ensemble 17 ans dans les geôles marocaines. Aujourd’hui, El Harif est le secrétaire national de La Voie démocratique, parti communiste qui boycotte jusqu’à présent les élections, mais qui est très actif parmi les syndicats et le mouvement des droits de l’homme.
Quelle est la situation au Maroc ?
Abdallah El Harif. La situation au Maroc est à la fois plus simple et plus difficile que dans les autres pays arabes et du Moyen-Orient. Plus simple, car au Maroc nous avons arraché depuis 15 ans le droit de manifester, de faire grève. Il y a des régions très marginalisées et beaucoup de poches de pauvreté dans les grandes villes. Mais il existe aussi des forces politiques alliées au pouvoir, aussi bien de gauche que des islamistes. Il s’agit de forces qui n’ont pas perdu toute crédibilité auprès des masses, ce qui rend les choses plus difficiles.
A présent, les régimes en place ont aussi tiré des leçons. L’effet de surprise est passé. Le régime se sert maintenant aussi de Facebook pour discréditer le mouvement.
Quel est le système politique ?
Abdallah El Harif. Le Maroc est une démocratie de façade. La constitution donne tous les pouvoirs au roi, c’est lui qui nomme tous les ministres. Même si vous êtes ministre, vous n’avez pas les instruments pour mener une politique. Le Parlement est un parlement d’enregistrement.
C’est un régime despotique : la presse est sous les ordres, des défenseurs des droits de l’homme sont jetés en prison, il y a la répression contre les islamistes et le mouvement étudiant de gauche.
Le régime a refusé de faire la lumière sur les crimes du passé sous Hassan II. Les tortionnaires sont toujours libres, l’appareil de répression toujours en place. Le régime a aussi créé un nouveau parti hégémonique, avec un proche du roi rejoint par des renégats.
Quel est le rôle de l’islam ?
Abdallah El Harif. La question de l’islamisme est constamment brandie par l’Occident dans le but de renforcer les mesures sécuritaires et soutenir des dictatures, les soi-disant remparts contre les islamistes. Le meilleur moyen de contrer les islamistes, ce sont des mesures équitables et démocratiques.
Quel rôle joue votre parti ?
Abdallah El Harif. Nous avons annoncé publiquement notre soutien à un mouvement unitaire. On ne peut pas laisser se diviser. C’est une occasion historique. On peut aller vers une rupture avec le régime actuel.
Quant au mouvement ouvrier, il a joué un rôle décisif en Tunisie et en Egypte à un moment donné, il le fera aussi au Maroc. Nous sommes présents dans les deux grandes centrales syndicales, l’UMT et la CDT, et à un moment donné, nous pousserons à la grève générale.
Quel est le programme du mouvement ?
Abdallah El Harif. Le mouvement du 20 février a comme mot d’ordre général « un régime démocratique ». Certaines forces politiques avancent le mot d’ordre de monarchie parlementaire, mais avec cela, on n’aurait que des changements superficiels.
La Constitution doit être rejetée entièrement, et non pas simplement amendée. Car le roi y est présenté comme représentant de dieu. Nous demandons une assemblée constituante. Le mouvement va continuer. Et nous le soutiendrons.
Quelle est la réaction du régime ?
Abdallah El Harif. Pour calmer le peuple, il a alimenté la Caisse de compensation de 1,5 milliard d’euros afin de baisser les prix à la consommation les carburants et aliments de base. Il a aussi promis d’engager 4 000 chômeurs diplômés.
Mais tout cela n’aura, à mon avis, pas beaucoup d’impact. A côté de cela, le régime intensifie la répression. Quatre manifestants à Tanger viennent d’être condamné à dix ans de prison chacun, suite à une manifestation houleuse. Il espère ainsi dissuader les manifestants. Le régime est visiblement très inquiet.
Révision de la constitution annoncée par le roi
Mohamed VI a annoncé le 9 mars une révision de la constitution semblant ainsi aller dans le sens d’une revendication portée par beaucoup de Marocains vers une monarchie parlementaire. Jusqu’à présent, la monarchie concentre tous les pouvoirs.
Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), se réjouit de cette révision qu’elle considère comme un premier résultat de l’action des jeunes. Mais en même temps elle regrette que « la commission soit mise en place de façon unilatérale par le roi et non élue par les forces vives de la nation, en totale contradiction avec une démarche démocratique ». Elle regrette qu’il ne sera vraisemblablement pas touché à l’article 19 de la constitution qui met tous les pouvoirs entre les mains de la monarchie et du roi. La Voie démocratique a émis des critiques semblables et exige une assemblée constituante.
La Voie démocratique
Constitué en 1995, La Voie démocratique se proclame comme la continuation du Mouvement marxiste-léniniste marocain (MMLM) et de sa principale composante, l’organisation Ilal Amam. Constituée au début des années 70, appelées « années de plomb », Ilal Amam a subi la répression du régime marocain sous Hassan II. Des milliers de militants ont été emprisonnés. Certains sont morts en prison, comme Abdellatif Zeroual, un des fondateurs d’Ilal Amam. Une autre membre célèbre, Saïda Menebhi, est morte à 25 ans suite à une grève de la faim en prison. D’autres camarades ont disparu et leur sort reste inconnu jusqu’à ce jour. Sous le roi Mohamed VI, qui a succédé à son père Hassan II en 1999, justice n’a pas été rendue, malgré ses promesses. Beaucoup de questions sur les militants disparus restent sans réponse.
Abdellah El Harif a été élu à la tête de La Voie démocratique (en arabe : Annahj Addimocrati) lors du premier congrès en 2004, et réélu lors du congrès de 2008, auquel le PTB a assisté. Les militants de La Voie Démocratique sont présents dans les deux principaux syndicats au Maroc : l’Union marocaine des travailleurs et la Confédération démocratique du Travail, et dans l’Association marocaine des droits de l’homme, qui compte 10 000 membres. Jusqu’à présent, La Voie démocratique a boycotté toutes les élections.
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